Ce pays qui nous était destiné
Aurore Paris

Anna a quitté Louis il y a une douzaine d’années pour partir avec un autre homme. Louis n’a jamais pu digérer cette rupture et pour cause : Anna s’est enfuie du jour au lendemain, sans explication.
Dix ans plus tard, devenue depuis lors une grande star de cinéma, elle demanda à Louis, toujours professeur de philosophie, de la rejoindre sur une île où elle a décidé de terminer ses jours. Condamnée, elle le prie de l’aider à rédiger ses mémoires. Ils ne s’étaient jamais revus.
Ce pays qui nous était destiné est l’histoire de leurs retrouvailles.

 

EXTRAIT

ANNA: Je sais pertinemment ce que tu te dis.
LOUIS: Ah. Et qu’est-ce que je me dis?
ANNA: Que je suis aussi folle qu’elle, aussi folle que ma mère.
LOUIS: Jamais je ne penserai ça.
ANNA: Menteur! (le singeant) « Tu es une merde, Anna, tu finiras comme ta mère! »
LOUIS: Tu noteras que j’ai employé le terme merde, non pas folle. Ce qui fait une nette différence.
ANNA: Tu le pensais!
LOUIS: Non. Bien sûr que non. (après un temps) Mais tu m’avais bien cherché ce jour-là.
ANNA: Ah les mots, cette malédiction…
Ils se rassoient.
ANNA: Je suis retournée à Pantin, d’ailleurs.
LOUIS: À Pantin?! Pourquoi faire?
ANNA: Ils ont rasé l’immeuble.
LOUIS: Notre immeuble?! Pourquoi? Qu’est-ce qu’il y a à la place?
ANNA: Un square. Dégueulasse. Avec des tourniquets et des tape-culs.
LOUIS: Merde alors.
Un temps.
LOUIS: Pourquoi retourner à Pantin?
ANNA: Comme ça…Tu as les mains sacrément sèches.
Anna va chercher une crème et s’empare d’une des mains de Louis pour la crémer et la masser. Il se laisse faire, comme une habitude.
ANNA: C’est aux mains que l’on se rend compte que le temps a véritablement passé… Tous ces minuscules sillons qui se sont creusés pendant qu’on était Dieu sait où…
LOUIS: J’ai des mains de vieux maintenant?
ANNA: Non. Tu as de très belles mains. Tu as toujours eu de très belles mains, chéri.
Louis récupère sa main et note quelque chose dans son carnet. Discrètement, Anna essaie de lire ce qu’il est en train d’écrire. Il cache ses notes avec sa main, comme un écolier qui refuse que l’on copie sur son devoir.

 

Passionné par le cinéma-vérité de Cassavetes, Pialat, Kechiche ou Bergman pour ne citer qu’eux, je réalise des films depuis plusieurs années. Tous mes films sont réalisés à partir d’improvisation avec les acteurs et les actrices. Ils traitent du couple et de notre difficulté à aimer ou être aimé. J’ai cru qu’il me serait difficile au théâtre d’accéder à cette vérité qui est mon obsession au cinéma. Avec Ce pays qui nous était destiné d’Aurore Paris j’ai découvert le texte idéal pour cette tentative. Cette quête de l’instant présent, du ici-et-maintenant.

Pour cette mise en scène, mes références sont toutes cinématographiques : Mariage Story de Noah Baumbach, Les noces rebelles de Sam Mendes, Une femme sous influence de John Cassavetes, Scènes de la vie conjugale de Ingmar Bergman, The ballad of Genesis and Lady Jaye de Marie Losier. Avec Ce pays qui nous était destiné, je veux continuer ma recherche sur la place du spectateur au théâtre. J’imagine une mise en scène frontale, proche des spectateurs. Mon défi est de leur provoquer l’émotion que j’ai ressentie à la lecture de la pièce.

Vincent Menjou-Cortès

 

 

Mise en scène : Vincent Menjou-Cortès

Avec Vanessa Fonte et Vincent Menjou-Cortès

Scénographie : Fanny Laplane